Taxation des cryptomonnaies selon la loi de Finances pour 2022 : une clarification toute relative.
Bien que louable, la volonté exprimée par le Législateur de limiter les cas de taxation des gains de cession de cryptomonnaies comme des revenus d’activité doit impérativement être confortée par des commentaires de l’administration fiscale. Bercy devra d’abord confirmer explicitement que l’application de la catégorie des BIC a vraiment vocation à disparaître. Il conviendrait ensuite de rassurer les contribuables concernés sur le fait que cette disparition n’entraînera pas une taxation des plus-values latentes au titre d’une « cessation d’activité ».
Résultant d’un amendement introduit « dans un souci de clarté fiscale »[1], l’article 70 de la Loi de Finances pour 2022 a complété l’article 92 du Code général des impôts, listant les différents revenus imposables dans catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), pour ajouter à cette liste « les produits des opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations ».
L’objectif semble transparent. En l’état actuel (et jusqu’au 1er janvier 2023, date d’application du texte nouveau), les gains de cessions de cryptomonnaies relèvent :
s’ils ont un caractère « occasionnel », du régime fiscal des plus-values privées, avec une taxation à un taux « flat » de 12,8 % (hors contributions sociales).
s’ils ont un caractère « habituel », du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), avec une taxation au barème progressif de l’impôt sur le revenu et donc l’application potentielle d’un taux marginal de 45 % (hors cotisations sociales).
Or, le principe d’une taxation en BIC des gains habituels rencontrait, à juste titre, deux types de critiques.
D’une part, le caractère assez flou et incertain de la notion “d’habitude”, laissant craindre aux détenteurs de cryptomonnaies que chaque arbitrage réalisé sur leur portefeuille allait augmenter le risque d’une requalification de leurs gains.
D’autre part, la différence de traitement manifeste entre les cryptomonnaies et les valeurs mobilières, les “boursicoteurs” étant, contrairement aux “cryptotraders” protégés de longue date des requalifications par un critère beaucoup plus restrictif que la simple habitude et tenant à ce que les opérations de bourses susceptibles d’être taxables comme des revenus d’activité soient uniquement celles réalisées dans des conditions « simili-professionnelles » (c’est-à-dire par les contribuables qui ont recours à des outils particuliers, accès à techniques complexes, etc.).
La loi nouvelle entend donc à l’évidence placer désormais les cryptotraders et les boursicoteurs côte à côte au sein de l’article 92 du CGI, réalisant ainsi l’alignement qui avait été refusé par le Conseil d’Etat en 2018[2]. Le saut du régime fiscal privé vers le régime des revenus d’activité se fera ainsi sur la base d’un même critère « professionnel ». Il entraînera par ailleurs l’application d’une même catégorie d’imposition : en effet, les boursicoteurs professionnels relevaient historiquement des BNC, il en ira donc désormais de même des cryptotraders.
Toutefois, cette modification législative n’est pas sans ambiguïté. En effet, elle n’acte pas explicitement de la disparition de la catégorie des gains de cession « habituels »… ni de leur taxation en BIC !
Pour mémoire, l’imposition historique des gains de cession sur cryptomonnaies selon les règles des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ne résulte pas de dispositions législatives spécifiquement applicables aux actifs numériques mais, au contraire, de la combinaison de règles de droits commun :
l'article L. 110-1 du code de commerce, qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre ;
l’article 34 du CGI, qui considère comme des bénéfices industriels et commerciaux les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l’exercice d’une profession commerciale.
L’administration fiscale avait déduit de ces dispositions, dans une instruction publiée dès 2014, que l'achat-revente de bitcoin exercée à titre habituel constituait une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des BIC. Cette analyse avait été, au demeurant, parfaitement validée par le Conseil d’Etat et reste d’actualité.
Les dispositions législatives ci-dessus n’ayant pas été modifiées par la loi nouvelle, on pourrait donc craindre, en l’absence de commentaires contraires de l’administration, qu’il existe désormais une qualification à trois étages :
- les gains occasionnels taxables en plus-value privée (12,8 %)
- les gains habituels mais non professionnels taxables en BIC (45 %)
- les gains professionnels taxables en BNC (45 % aussi).
Bien évidemment, telle n’était manifestement pas l’intention du Législateur. Gageons (ou en tout cas espérons) que les commentaires d’application du texte élimineront toute ambiguïté en confirmant que la catégorie des BIC n’a plus jamais vocation à s’appliquer aux plus-values sur cryptomonnaies.
Cette issue laissera néanmoins subsister une inquiétante question pour les contribuables qui relevaient auparavant de cette catégorie.
Il est vrai que la taxation en BIC des gains sur cryptomonnaies peut sembler avoir été une pure abstraction, le plus souvent vécue comme un risque conceptuel plutôt que comme une réalité (les contribuables ayant plutôt tendance à se considérer spontanément comme des opérateurs privés, quitte à se préparer à d’éventuelles discussions dans le cadre d’un contrôle ultérieur).
Il n’en reste pas moins que certains contribuables se sont historiquement considérés comme des opérateurs habituels et ont déclaré de manière très spontanée la création d'une activité individuelle BIC d’achat-revente de cryptomonnaies. Certains l’ont fait avec un enthousiasme décuplé par la possibilité de bénéficier de l’abattement « micro » qui limitait l’imposition applicable, ou encore par la mise en place d’une stratégie « année blanche » tirant parti du crédit d’impôt applicable aux opérations réalisées en 2018.
Quel sort sera-t-il fait à ces contribuables à compter du 1er janvier 2023 ?
La « disparition » d’une activité BIC, même si elle est le fait d’une altération des critères de qualification applicables, devrait en principe constituer une cessation d’entreprise au sens de l’article 201 du CGI… cessation entraînant la taxation immédiate des profits réalisés et des plus-values latentes ! Cela pourrait être une véritable catastrophe pour les contribuables concernés.
Espérons donc que les commentaires de Bercy auront la présence d’esprit de prévoir une transition plus douce.
[1] Assemblée Nationale, 30 septembre 2021 – N° I-CF883
[2] CE, 26/04/2018. Le Conseil d’Etat avait estimé, d’une part, qu’un traitement fiscal distinct des opérations sur valeurs mobilières et sur cryptomonnaies résultait bien de la teneur des textes légaux et d’autre part, que cette différence de traitement n’était pas contraire au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, étant justifiée par la différence de nature des actifs en cause.