Observations sur les modalités pratiques de déclaration des cryptomonnaies (première partie).
La déclaration des revenus de l’année 2019 a été l’occasion pour nombre de détenteurs de devises virtuelles (et pour leurs conseils) de mettre en pratique les nouvelles modalités de taxation et de déclaration des « actifs numériques », sur lesquelles nous proposons un retour d’expérience.
Ces commentaires en deux parties porteront distinctement sur la déclaration des plus-values réalisées suite à des cessions d’actifs numériques, d’une part, et sur la déclaration des comptes d’actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger, d’autre part.
Partie 1 - La déclaration des gains et pertes sur cession d’actifs numériques
On rappelle que le régime fiscal actuel, applicable aux cessions réalisées depuis le 1er janvier 2019, est prévu par l’article 150 VH bis sur Code général des impôts, issu de l’article 41 de la loi de finances pour 2019. Il est applicable « sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels », ce qui signifie qu’il ne concerne pas les cessions relevant d’une taxation selon le régime des BNC (gains issus du « minage ») ou selon le régime des BIC (activité « habituelle » d’achat-vente).
Pour les gains situés hors de ces deux catégories, le nouveau régime s’est substitué au régime des plus-values sur biens meubles dont l’applicabilité avait reconnue par le Conseil d’Etat dans une décision du 26 avril 2018 (n° 417809), à l’encontre de la position de l’administration fiscale qui estimait que les gains de cessions occasionnels relevaient d’une taxation en BNC au même titre que les gains de « minage ».
Le nouveau régime est encore plus favorable puisqu’il remplace la taxation forfaitaire à 19 % des plus-values sur biens meubles par une taxation sui generis à 12,8 %, dont le taux est identique à celui du prélèvement forfaitaire unique (PFU) mais qui ne doit pour autant pas se confondre pas avec ce dernier : en effet, alors que les revenus relevant du PFU peuvent être soumis sur option du contribuable au barème progressif de l’impôt sur le revenu, il n’en est rien s’agissant des gains de cession de cryptomonnaies.
A l’imposition forfaitaire de 12,8 % s’ajoutent bien entendu les contributions sociales sur les revenus du patrimoine au taux actuel de 17,2 % (d’où une taxation globale minimale de 30 %) et il peut également s’y ajouter, le cas échéant, une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au taux marginal de 4 %.
Ceci étant rappelé, la mise en œuvre des modalités pratiques de calcul et de déclaration des gains ont mis en évidence les particularismes suivants.
Tout d’abord, on saisit mieux certaines conséquences pratiques de l’approche du législateur tenant à calculer les gains sur le modèle existant en matière de rachats sur contrats d’assurance-vie et de capitalisation. Pour mémoire, le contribuable ayant réalisé une cession de cryptomonnaie est invité :
d’abord, à faire la masse de toutes ses acquisitions pour établir un prix de constitution global de portefeuille ;
puis, à imputer celui-ci sur le prix de la cession réalisée, à hauteur d’une fraction représentative de cette cession par rapport à la valeur globale du portefeuille au moment de celle-ci.
A titre d’exemple simple, si un contribuable détient :
- 3 Bitcoin (BTC) achetés pour 5.000 €
- 50 Ethereum (ETH) achetés pour 10.000 €
Le prix de constitution total de son « portefeuille » est de 15.000 €.
A une date donnée et du fait de l’évolution respective des cours du BTC et de l’ETH, ce portefeuille est évalué à 50.000 €. Si à cette date, le contribuable vend 1 BTC pour 10.000 € (soit 20 % de la valeur globale de son portefeuille), la plus-value imposable se calculera en déduisant du prix de vente de 10.000 € un prix d’acquisition de 3.000 € (20 % du prix de constitution global), soit un gain imposable de 7.000 €.
Pour le calcul des gains et des pertes ultérieures, la fraction de prix d’acquisition « consommée » de 3.000 € viendra bien entendu en diminution de la valeur de constitution du portefeuille, qui sera désormais réputée être de 7.000 €. On notera à cet égard un certain manque d’ergonomie du formulaire de déclaration n° 2086 qui a été établi par Bercy, puisque ce dernier ne prévoit pas de case individualisant, pour chaque cession, la fraction de prix d’acquisition spécifiquement imputée sur celle-ci…
Cette remarque mise à part, les conséquences pratiques de ces modalités de calcul et de déclaration immédiatement observables sont les suivants.
En premier lieu, l’approche globale qui a été retenue interdit aux contribuables de compartimenter leurs opérations en ne calculant leurs gains que par rapport aux actifs détenus par l’intermédiaire d’une seule plateforme, ou par rapport à une seule devise.
Le formulaire n° 2086 illustre d’ailleurs un désintérêt total de l’administration fiscale pour les différents types de cryptomonnaies détenues ou cédées : seuls des montants en euros (prix de cession, évaluation globale de portefeuille, prix d’acquisition) doivent être reportés, à l’exclusion de toute information sur la nature et la quantité des actifs.
Cette approche n’est pas sans soulever de questions. Ainsi, un contribuable qui vend une devise spécifique qui a stagné, mais dont le portefeuille global s’est apprécié par la détention d’une autre devise, devra constater un gain taxable par « contamination », quand bien même il n’aurait fait aucune opération sur cette seconde devise. Ceci pourrait ainsi donner lieu à des contestations tenant à la taxation d’un gain encore hypothétique, la seconde devise étant toujours détenue et restant donc soumise à l’aléa d’une dépréciation…
D’une manière n’ayant cette fois pas directement trait aux modalités de calcul de l’impôt, certains contribuables pourront tout simplement s’émouvoir de l’obligation qui leur est faite de réaliser une évaluation intégrale leur portefeuille de cryptoactifs pour la dévoiler à l’administration fiscale et ce, aussi minime que soit la cession déclarée.
De fait, il est clair que les contribuables qui ont réalisé un « cash-out » en 2019 et qui ont déclaré celui-ci dans les règles ont été amenés à reporter sur leur déclaration, non seulement le montant de leur sortie, mais la valorisation globale de toutes leurs détentions. Reste à voir ce que l’administration fiscale fera de cette information…
Enfin, une dernière inquiétude peut être attachée au sort des moins-values. En effet, la loi permet la compensation des gains et des pertes d’une même année mais aucun report des pertes sur les gains des années ultérieures.
Pour illustrer le caractère problématique de cette position, on peut ainsi imaginer la situation d’un contribuable constituant un portefeuille pour 10.000 €.
Si une chute des cours diminue la valeur du portefeuille à 4.000 € et que le contribuable, ayant besoin de liquidités au cours d’une année X, décide de « sortir » 2.000 €, il constatera une perte de 2.000 – 5.000 (50 % de la valeur de constitution) = 3.000 €, non reportable sur les années ultérieures.
Si les cours se reprennent et que le portefeuille résiduel se réapprécie à 8.000 €, le contribuable heureux de récupérer sa mise, qui procédera en année Y à sa liquidation intégrale, devra déclarer un gain taxable de 8.000 - 5.000 (valeur de constitution résiduelle) = 3.000 €.
Ainsi, l’impossibilité d’imputer la perte de 3.000 € constatée en année X sur le gain de 3.000 € réalisé en année Y conduit à taxer un gain chez un contribuable qui n’est pourtant pas enrichi, puisqu’il aura juste récupéré sa mise initiale de 10.000 € (2.000 € puis 8.000 €).
Les modalités de report des gains et pertes retenues par le Législateur, qui peuvent aboutir à la taxation de gains inexistants ou encore hypothétiques, ne manqueront donc certainement pas de susciter des contestations relatives au respect des facultés contributives… contestations pour lesquelles nous comptons bien nous trouver en première ligne.