Les contribuables négligents peuvent-ils être « privés d’année blanche » ? La limitation discutable du CIMR aux revenus déclarés spontanément.
Les règles d’imposition spécifiquement applicables aux revenus reçus en 2018 frappent très durement certains contribuables mal lotis qui, du fait d’une simple négligence, se voient refuser le bénéfice du crédit d’impôt qui matérialisait « l’année blanche ». Un recours semble toutefois envisageable.
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On sait que la mise en place du prélèvement à la source s’était accompagnée d’une mesure destinée à atténuer la charge de trésorerie pesant sur les contribuables en 2019, année durant laquelle ils ont commencé à supporter des prélèvements sur leurs revenus de l’année en cours.
L’imposition des revenus reçus en 2018, qui devait également intervenir en 2019, a ainsi été neutralisée par l’octroi d’un crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (le CIMR) auquel étaient éligibles tous les revenus reçus en 2018 inclus dans le champ d’application du prélèvement à la source et ne présentant pas un caractère « exceptionnel ».
Le Législateur a toutefois tempéré ce cadeau par une condition supplémentaire aux effets redoutables, consistant à réserver le bénéfice du CIMR aux seuls « revenus déclarés spontanément par le contribuable » (Article 60 II L 3. de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017).
Il résulte de cette disposition qu’un contribuable négligent, qui n’aurait pas déposé de déclaration des revenus 2018 ou qui aurait omis d’y faire figurer certains revenus peut parfaitement, du fait de l’exclusion du CIMR, se voir réclamer une imposition dont il n’aurait pas été redevable en cas de déclaration régulière.
Cette hypothèse tout à fait regrettable est d’ores et déjà mise en pratique à l’encontre de contribuables qui, n’ayant pas déposé de déclaration des revenus 2018 (et ayant peut-être même négligé une première relance amiable des services fiscaux) ont reçu une mise en demeure de déposer cette déclaration.
Dans une telle situation, les jeux sont faits : en effet, une réponse dans les 30 jours peut encore faire obstacle à la mise en œuvre d’une procédure de taxation d’office (et donc à l’application d’une pénalité supplémentaire de 40 %), mais elle n’empêche pas pour autant l’administration d’établir l’impôt sans CIMR, ce dernier étant devenu inapplicable dès l’envoi de la mise en demeure (BOI-IR-PAS-50-10-30-10 n° 40).
Plusieurs dossiers de ce type sont à notre connaissance actuellement soumis à l’appréciation des conciliateurs fiscaux et autres autorités hiérarchiques, mais il n’est pas certain que ces recours amiables se soldent en faveur des contribuables.
En effet, outre une époque peu propice à l’indulgence à l’égard des « phobiques administratifs », l’exclusion du CIMR n’est pas formellement catégorisée parmi les sanctions fiscales et apparaît comme une simple règle de calcul de l’impôt sur les revenus 2018. L’administration fiscale risque donc de ne pas s’estimer en mesure d’accorder à titre gracieux la remise de l’impôt qui en résulte.
Dans ce scénario, il ne restera donc plus aux contribuables concernés qu’à tenter de contester la conformité de l’exclusion du CIMR aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Cela étant dit, la difficulté précédemment évoquée de considérer cette exclusion comme une sanction fiscale (notamment au regard de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2011-121 QPC du 29 avril 2011) pourrait risquer de rendre inopérant un éventuel moyen tiré du principe de proportionnalité des peines.
Dommage, car c’est pourtant bien ce principe qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on constate que l’exclusion du CIMR a pour effet d’attacher une imposition à une simple négligence, exclusive de toute tentative d’éluder l’impôt.
Le Conseil Constitutionnel avait précisément jugé disproportionnée une amende proportionnelle de 5 % appliquée en cas de manquement déclaratif sans lien avec l’existence d’un préjudice pour le Trésor Public (décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016). A plus forte raison, que penserait-il d’une imposition pouvant atteindre un taux marginal de 62,20 % appliquée dans les mêmes conditions ?
Toujours est-il que si ce moyen n’opère pas, les contribuables concernés pourront invoquer celui, plus général, tiré d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques. A cet égard, le fait d’avoir déclaré des revenus spontanément ou non constitue-t-il, pour reprendre la formule consacrée, « un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi » propre à justifier une application différenciée du CIMR au détriment des contribuables négligents ?
Nous pensons qu’il n’en est rien et nous proposons donc d’accompagner dans un recours les contribuables qui souhaiteraient contester l’impôt mis à leur charge.