Observations sur les modalités pratiques de déclaration des cryptomonnaies (seconde partie)

La déclaration des revenus de l’année 2019 a été l’occasion pour nombre de détenteurs de devises virtuelles (et pour leurs conseils) de mettre en pratique les nouvelles modalités de taxation et de déclaration des « actifs numériques », sur lesquelles nous proposons un retour d’expérience.

Ces commentaires en deux parties portent distinctement sur la déclaration des plus-values réalisées suite à des cessions d’actifs numériques, d’une part, et sur la déclaration des comptes d’actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger, d’autre part.

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Partie 2 : La déclaration des comptes d’actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger

La loi de finances pour 2019 n’a pas uniquement prévu un régime fiscal nouveau applicable aux plus-values sur cessions de cryptomonnaies, puisqu’elle a également créé, en l’inscrivant à l’article 1649 bis C du CGI, une obligation déclarative attachée à la détention de comptes d’actifs numériques auprès d’entités établies à l’étranger.

Comme en matière de comptes bancaires « traditionnels » détenus hors de France, cette obligation est une pure déclaration d’existence, qui est totalement indépendante de la réalisation ou non d’opérations imposables au cours de l’année. L’indication de la valeur des actifs détenus n’est par ailleurs nullement requise : seules sont demandées des informations basiques relatives à l’établissement dépositaire, à l’identification du compte et à la nature des droits du déclarant.

Cette obligation s’appliquait donc pour la première fois en 2020 aux comptes d’actifs numériques, à l’occasion du dépôt des déclarations relatives à l’année 2019.

La démarche retenue par le Législateur ne manque toutefois pas d’étonner : l’obligation de déclaration des comptes étrangers traditionnels était prévue de longue date par l’article 1649 A du CGI. Or, cette obligation est applicable aux comptes détenus hors de France, auprès des banques mais plus généralement auprès de toutes les entités « qui reçoivent habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou fonds ».

Là où il aurait semblé plus efficace de modifier l’article 1649 A pour ajouter à cette liste les « actifs numériques », le Législateur semble avoir préféré la création d’une obligation autonome inscrite à un nouvel article 1649 bis C.

Il en résulte la création d’un formulaire déclaratif distinct (n° 3916-bis) spécifique aux comptes d’actifs numériques détenus à l’étranger, mais dont les rubriques sont une copie conforme du formulaire déclaratif n° 3916 applicable aux comptes bancaires « classiques ».

D’un point de vue strictement pratique, on peut d’ailleurs faire exactement le même reproche au formulaire nouveau qu’au formulaire ancien : il occupe beaucoup d’espace au regard des informations qui y sont reportées et il doit être souscrit pour chaque compte concerné, de sorte que les déclarations de contribuables détenant de multiples comptes occupent rapidement un volume démesuré…

Cerise sur le gâteau : le formulaire n° 3916-bis n’était pas intégré à la déclaration en ligne des revenus 2019, de sorte qu’une actualité publiée sur le site de l’administration fiscale invitait les contribuables, soit à leur transmettre séparément ce formulaire complété et signé (sous format papier ou par messagerie sécurisée), soit à faire figurer directement les références des comptes dans la rubrique « autres renseignements » de la déclaration de revenus.

Nous avons pour notre part opté pour la souscription de formulaires n° 3916 « classiques », ceux-ci étant intégré de longue date à la déclaration en ligne et identiques en tous points au formulaire n° 3916-bis.

Ces observations sur les désagréments déclaratifs étant faites, restent à examiner les sanctions attachées à une méconnaissance de cette nouvelle obligation.

Sans surprise, le défaut ou l’insuffisance de déclaration sont sanctionnés par une amende… Il est en revanche tout à fait surprenant qu’aucune autre sanction ne soit prévue.

L’article 1736 du CGI prévoit dans son X. l’application d’une amende de 750 € par compte non déclaré, qui peut être portée à 1.500 € en cas de détention d’actifs numériques d’une valeur supérieure à 50.000 € à un moment quelconque de l’année concernée.

Cette disposition sanctionne aussi les simples omissions et inexactitudes par une amende de 125 €, qui peut également être doublée en cas de détention supérieure à 50.000 € pour être portée à 250 € par inexactitude ou omission.

Le texte prévoit enfin une application des amendes « dans la limite de 10.000 € par déclaration » sans préciser si ce plafonnement vise l’intégralité des infractions (non-déclaration de comptes comprise) ou uniquement les inexactitudes ou omissions sur des déclarations de comptes effectivement souscrites.

La première interprétation semble néanmoins plus vraisemblable : la seconde supposerait en effet d’imaginer un cumul d’inexactitudes à 125 € ou 250 € tellement important qu’il aboutirait à un montant supérieur à 10.000 €, alors même que la non-déclaration pure et simple d’un compte (plutôt que sa déclaration truffée d’inexactitudes…) donnerait uniquement lieu à une amende de 750 € ou 1.500 €…

Amendes mises à part, les autres sanctions habituellement attachées à la non-déclaration d’un compte étranger sont inapplicables en matière de déclaration d’actifs numériques.

En effet, la création d’une obligation déclarative nouvelle à l’article 1649 bis C du CGI, indépendante de l’obligation traditionnelle de déclarer les comptes bancaires prévue par l’article 1649 A, rend apparemment inopérantes en matière d’actifs numériques les sanctions - autres que les amendes – qui sont applicables en matière de comptes traditionnels.

Ainsi, la méconnaissance de l’obligation de déclarer les comptes d’actifs numériques n’est en elle-même susceptible d’entraîner :

  • ni la majoration de 80 % de l’impôt éventuellement éludé à raison des avoirs figurant sur un compte non déclaré (cette majoration étant prévue par l’article 1729-0 A du CGI en cas de manquement à l’article 1649 A mais pas en cas de manquement à l’article 1649 bis C) ;

  • ni la présomption tenant à ce que les avoirs transitant par un compte non déclaré constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables (cette présomption n’étant prévue que par l’article 1649 A) ;

  • ni enfin, l’application du redoutable article L. 23 C du LPF qui permet à l’administration de taxer à 60 % (comme une donation « indéterminée ») les avoirs des comptes non déclarés dont le contribuable ne parviendrait pas à justifier de l’origine (sachant qu’une seule infraction au cours des 10 dernières années justifie l’application du texte).

Il est tout à fait surprenant que le Législateur n’ait visiblement pas souhaité étendre cet arsenal répressif aux crypto-monnaies, lesquelles ont pourtant précisément la triste réputation de faciliter les transferts occultes.

L’administration fiscale en sera-t-elle privée lorsqu’elle fera face à des contribuables ayant sciemment éludé l’impôt (en s’abstenant par exemple de déclarer une importante plus-value) ou détenant une fortune dont l’origine n’est pas explicable par la seule hausse des cours intervenue ces dernières années ?

Dans les cas extrêmes, elle sera probablement tentée d’appliquer cet arsenal d’une manière détournée, en considérant que les plates-formes d’échange de type Kraken ou Binance relèvent tout aussi bien de l’article 1649 A du CGI que de l’article 1649 bis C nouveau, et relevaient déjà du premier bien avant l’édiction du second.

En effet, si ces plates-formes sont bien conçues pour héberger des « actifs numériques », elles n’en reçoivent pas moins en dépôt de manière habituelle des liquidités en monnaie fiduciaire (FIAT) qui permettent aux utilisateurs d’acheter des crypto-monnaies ou de recevoir le produit de leur vente. L’administration pourrait à ce titre considérer que les comptes détenus sur ces plates-formes relevaient déjà de l’obligation de déclaration prévue par l’article 1649 A et tenter d’appliquer les sanctions attachées à ce seul texte.

Les contribuables qui feraient l’objet de tels redressements pourraient toutefois se défendre, en s’étonnant de l’application d’un texte que le Législateur a implicitement considéré comme étant inapplicable aux détentions de crypto-monnaies, puisqu’il a cru bon d’édicter un texte spécial pour les encadrer.

Les contrôles qui seront engagés par l’administration fiscale et la jurisprudence à laquelle ils donneront lieu viendront probablement alimenter ce débat.

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