La notion de gratification surérogatoire ou l'art de générer du contentieux.

L’instruction administrative visant à définir la notion de « gratification surérogatoire » est à l’origine, en raison de son caractère excessivement sélectif, de nombreux redressement infondés concernant les gains de stock-options et d’actions gratuites non qualifiés. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette instruction permettrait à notre avis de rétablir rapidement les contribuables dans leurs droits.

Télécharger l’article en PDF

Nous avions signalé, dans une précédente publication, que l’administration fiscale procédait à un contrôle assez intensif du caractère « exceptionnel » des salaires reçus par les contribuables en 2018 en ciblant très largement les gains résultant de l’acquisition d’actions issues de plans d’attributions gratuites ou de stock-options dit « non qualifiés ».

Les derniers redressements que l’administration s’est empressée de notifier sur cette base, avant que la prescription survenue le 31/12/2022 ne l’en empêche définitivement, nous ont permis d’observer une certaine radicalisation des positions prises par les Inspecteurs.

C’est l’occasion pour nous de revenir sur ce qui nous semble être la racine du problème, à savoir la notion de gratification surérogatoire.

On se souvient que dans le cadre du dispositif plus communément appelé « année blanche » l’imposition des revenus de l’année 2018 a été neutralisée par une imputation dénommée « Crédit d’Impôt Modernisation du Recouvrement » (ou CIMR) octroyée à hauteur des revenus soumis au prélèvement à la source et ne présentant pas de caractère exceptionnel.

Or, le Législateur de 2016[1] avait pris soin de lister les différents éléments de revenus qui seraient considérés comme présentant un tel caractère et devant faire l’objet, de ce fait, d’une imposition effective non neutralisée par le CIMR. Parmi ces éléments se trouvaient les « gratifications surérogatoires, quelle que soit la dénomination retenue par l’employeur ».

Tel qu’énoncée dans le projet de loi, cette notion ne semblait pas appeler de difficultés au regard de la définition courante (si l’on ose dire) du terme « surérogatoire », à savoir ce qui s’ajoute sans nécessité ni obligation.

On comprenait ainsi qu’il s’agissait d’éviter les effets d’aubaine et d’empêcher que l’année blanche puisse avoir pour effet d’exonérer des revenus supplémentaires qui seraient opportunément « sortis du chapeau » de l’employeur sans correspondre à une obligation préexistante de celui-ci.

Préalablement à l’adoption de la loi, le gouvernement est toutefois venu jeter le trouble par un « amendement de clarification » (sic) ajoutant au texte définitif sa propre définition du terme surérogatoire[2]. La version finale du texte en vigueur vise ainsi les « gratifications surérogatoires, qui s’entendent des gratifications accordées sans lien avec le contrat de travail ou le mandat social, ou allant au-delà de ce qu’ils prévoient, quelle que soit la dénomination retenue ».

Or, il est peu dire que l’intervention de la notion de « contrat de travail » telle qu’énoncée dans ce contexte prête à confusion. En effet, deux interprétations sont possibles :

  • soit considérer que le législateur a entendu viser la substance même des obligations de l’employeur, considérant comme une gratification surérogatoire tout versement auquel il n’était pas obligé ;

  • soit considérer que le législateur a entendu viser l’instrumentum, c’est-à-dire le document contractuel physique ayant noué la relation de travail, en considérant comme une gratification surérogatoire tout versement qui ne figurerait pas sur ce dernier.

Nous penchons pour la première interprétation, pour des raisons tenant à l’absurdité de la seconde.

Si le législateur avait entendu viser l’instrumentum, alors les termes de la loi seraient bien maladroitement choisis : si on doit rechercher la source d’une gratification dans un support écrit, la formulation la plus naturelle consisterait à exiger que la première figure sur le second, et non pas qu’il existe un lien (lequel ?) entre les deux.

Par ailleurs, l’interprétation « instrumentale » ne résiste pas à l’impératif d’égalité de traitement entre les contribuables.

Il est rappelé que le droit du travail n’accorde guère d’importance à l’instrumentum. Ainsi, un contrat de travail peut parfaitement être conclu sans faire l’objet d’un écrit, pourvu qu’il s’agisse d’un CDI à temps plein. Le législateur a-t-il entendu, à défaut d’instrumentum, priver les intéressés du bénéfice de l’année blanche ?

De même, une augmentation de salaire peut parfaitement être accordée sans autre formalisation que la mention d’un salaire brut plus élevé sur le bulletin de paie, qui sera suffisante pour s’imposer à l’employeur pour l’avenir.

Enfin, il est impossible d’ignorer que des éléments de rémunération peuvent trouver leur fondement dans une source extracontractuelle comme un accord collectif.

Que dire enfin des fonctionnaires qui n’ont pas de contrat de travail et dont la situation est régie par des règles statutaires, purement légales ou réglementaires ?

Dans ses commentaires de la loi publiés au « Bofip », l’administration fiscale, plutôt que de restreindre clairement la notion de gratification surérogatoire aux seuls versements qui ne constituaient pas, à un titre quelconque, une obligation préexistante de l’employeur, a choisi une voie médiane consistant :

  • d’une part, à affirmer la prééminence de l’instrumentum, estimant que les gratifications non surérogatoires sont avant tout celles qui sont « mentionnées dans » le contrat de travail.

  • d’autre part, à anticiper autant que possible les problèmes posés par cette approche en créant des « tolérances » de deux ordre.

La première de ces tolérances consiste à élargir l’instrumentum en considérant, là où le texte légal ne mentionne que le contrat de travail et le mandat social, qu’il convient d’y « assimiler » les conventions et accords collectifs, les dispositions législatives ou réglementaires relatives au statut des fonctionnaires, magistrats et militaires ainsi que les usages de l'entreprise.

La deuxième de ces tolérances consiste à admettre, même en l’absence de mention d’une gratification dans un quelconque instrumentum au sens ainsi élargi, que celle-ci puisse échapper à la qualification de surérogatoire à raison du caractère habituel de son versement et de son montant.

Hélas, ces « tolérances », interprétées trop restrictivement par les services de contrôle fiscal, ne permettent pas d’éviter les redressements infondés.

Il en va ainsi de certains contribuables qui ont réalisé en 2018 des gains d’acquisition d’actions gratuites ou de stock-options émanant de plans « non-qualifiés ». Inutile de dire, pourtant, que ces contribuables peuvent parfaitement documenter le fait que leurs gains résultaient d’un engagement contractuel de leur employeur bien antérieur à 2018. Il ne pourrait en être autrement, compte tenu de la plus ou moins longue période de vesting habituellement attachée à ces modalités de rémunération.

Pour autant, l’administration fiscale a tendance à leur opposer que le plan de rémunération en equity et les différentes lettres d’attribution que le salarié s’est vu remettre sont des documents extérieurs au contrat de travail, dont l’existence n’est pas mentionnée par l’instruction fiscale… par suite, les gains réalisés présenteraient nécessairement le caractère de gratifications surérogatoires, sauf à pouvoir se prévaloir de la tolérance liée à leur régularité.

Or, les contribuables qui auraient eu le malheur de réaliser des gains pour la première fois en 2018 ou qui auraient réalisé des gains plus importants que les deux années précédentes se verront privés du bénéfice de celle-ci…

Il est vrai que les « tolérances administratives » doivent être interprétées strictement.

Mais doit-il en être ainsi même lorsqu’elles ont été instituées pour pallier aux problèmes soulevés par une interprétation de la loi qui était incorrecte en premier lieu ?

A force d’être trop tatillonne, l’administration fiscale s’expose à ce que l’instruction fiscale publiée au « Bofip » soit directement attaquée par les intéressés dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

Ce recours viserait à faire reconnaître une fois pour toutes par le Conseil d’Etat qu’une gratification ne peut pas être « surérogatoire » si son versement résultait d’une obligation préexistante de l’employeur et ce, quel que soit le support matérialisant (ou pas) cette obligation, pourvu que le contribuable soit en mesure d’en démontrer l’antériorité.

Nous ne manquerons pas d’engager un tel recours pour le compte de nos clients si les redressements dont ils ont fait l’objet ne font pas l’objet d’un abandon amiable.

[1] Rappelons que les dispositions relatives au CIMR figurent à l’article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, qui prévoyait initialement que « l’année blanche » serait l’année 2017 et que le prélèvement à la source entrerait en vigueur le 1er janvier 2018. Ces dispositifs ont par la suite été reportés d’un an.

[2] Amendement n° 502 – PLF 2017 (N° 4271), Assemblée Nationale 13 décembre 2016.

Précédent
Précédent

Le PEA, piste inexplorée d’optimisation de la fiscalité des BSPCE

Suivant
Suivant

Plus-values sur cryptomonnaies : l’épouvantail de la requalification fiscale