L’exonération mal aimée des indemnités de rupture transactionnelle
Une décision du Conseil Constitutionnel de 2013 devrait permettre l’exonération totale des indemnités transactionnelles de licenciement, même lorsqu’elles excèdent le plafond de 6 PASS (246.816 €). Pourtant, cette possibilité reste peu usitée en pratique.
On sait que les indemnités de licenciement sont habituellement exonérées d’impôt sur le revenu à hauteur du plus élevé des trois plafonds suivants :
le montant prévu par la convention collective de branche, l'accord professionnel ou interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ;
le double de la rémunération annuelle brute ;
la moitié du montant de l’indemnité.
Toutefois, la fraction des indemnités exonérée en application des deux dernières limites ne peut excéder un plafond égal à six fois le montant annuel du plafond de la sécurité sociale (PASS), soit actuellement 246.816 €.
La conséquence pratique de cette règle est qu’un salarié percevant une indemnité particulièrement importante et allant au-delà des minimums légaux et conventionnels sera toujours imposable sur la fraction de l’indemnité supérieure au plafond de 246.816 €, qui est bien connu des cadres supérieurs et dirigeants.
Cette exonération plafonnée, prévue par l’article 80 duodecies 1.3° du Code général des impôts, ne doit toutefois pas être confondue avec celle de l’article 80 duodecies 1.1° qui vise sans limitation de montant les indemnités qui sont versées au salarié dans le cadre d’une conciliation prud’hommale ainsi que celles qui lui sont allouées au titre d’un licenciement irrégulier, abusif, ou nul.
Ces indemnités, qui résultent en principe d’un jugement, ont soulevé la question du sort des indemnités de rupture transactionnelles. En effet, ces dernières relevaient en principe de l’exonération plafonnée de l’article 80 duodecies 1.3°.
De ce fait, les salariés en conflit avec leur employeur sur la forme, le bien-fondé ou la licéïté de leur licenciement étaient susceptibles de se voir allouer par le juge une indemnité intégralement exonérée, alors que ceux qui décidaient de transiger sans aller jusqu’au bout de la procédure judiciaire devaient se contenter d’une indemnité ne pouvant bénéficier que d’une exonération plafonnée à 6 PASS.
Le Conseil Constitutionnel, dans une décision n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013, a toutefois considéré que cette différence de traitement ne se justifiait pas au regard de l’impératif d’égalité devant l’impôt.
Le Conseil s’est ainsi opposé à ce que le niveau d’exonération puisse varier selon que l'indemnité est allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction et a en particulier invité l’administration à rechercher au cas par cas la qualification à donner aux sommes objet de la transaction.
Cette décision devrait donc conduire les signataires d’une transaction négociée dans le contexte d’un litige prud’hommal à considérer que l’indemnité qui est allouée au salarié en contrepartie de son désistement doit bénéficier de la même exonération fiscale illimitée que celle qui aurait été susceptible d’être allouée par le juge si l’instance judiciaire avait été menée à son terme.
Pourtant, cette exonération totale n’est que très rarement mise en œuvre.
Les employeurs qui versent des indemnités transactionnelles ont la responsabilité de déclarer à l’administration fiscale le montant de l’éventuelle fraction imposable dans le cadre de la déclaration annuelle des salaires et, depuis le 1er janvier 2019, à précompter l’impôt correspondant dans le cadre du prélèvement à la source.
Or, force est de constater que la pratique généralement retenue par les employeurs consiste toujours, malgré la décision du Conseil Constitutionnel de 2013, à imposer la fraction de l’indemnité transactionnelle excédant 6 PASS.
Cette frilosité est assez compréhensible.
D’une part, l’administration fiscale n’a jamais cru bon d’inclure cette jurisprudence dans sa doctrine officielle, qui continue à énoncer sans nuance que les limites d'exonération habituelles sont applicables aux indemnité transactionnelles (BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-30 n° 30).
D’autre part, les salariés qui tentent de revendiquer le bénéfice de la décision du Conseil Constitutionnel se voient opposer une pratique jurisprudentielle assez peu libérale qui consiste à réévaluer a posteriori le bien fondé des griefs qui avaient articulés par le salarié dans le cadre de son litige avec l’employeur.
L’administration fiscale a ainsi toujours la possibilité de considérer, si elle n’est pas convaincue par l’argumentaire du salarié, que l’indemnité n’était pas justifiée au vu des circonstances du litige. L’inspecteur des impôts peut ainsi s’estimer mieux placé que l’employeur pour évaluer le propre risque prud’hommal de ce dernier et considérer, le cas échéant, que l’indemnité versée au salarié ne résultait que d’une « générosité » excluant l’exonération totale…
Une pratique courante de l’administration fiscale consiste en particulier à rechercher dans le protocole transactionnel conclu entre l’employeur et le salarié des formules pouvant être retenues contre ce dernier, par exemple celle où il accepterait de reconnaître le bien-fondé de son licenciement.
Une telle analyse doit être fortement critiquée, car elle méconnait tant l’objet du contrat de transaction, qui consiste précisément à faire des concessions, que son effet relatif : il ne concerne les parties signataires et les concessions qui y sont faites ne devraient pas être opposables par des tiers (en l’occurrence l’administration fiscale).
Toujours est-il que les contribuables s’apprêtant à conclure une transaction seraient avisés de rester particulièrement attentif sur le choix des mots…
En tout état de cause, les bénéficiaires d’indemnités transactionnelles qui ont subi l’impôt sur la fraction supérieure à 6 PASS ont tout intérêt à formuler une réclamation pour tenter d’obtenir sa restitution en invoquant la jurisprudence mal aimée du Conseil Constitutionnel.
Le cabinet dispose d’une pratique dans ce domaine et se tient bien entendu à la disposition de tout intéressé pour évaluer les enjeux et chances de succès de cette démarche.