2020, triste année pour l’exonération des séjours professionnels à l’étranger ?
Le régime fiscal de faveur prévu par l’article 81 A du Code général des impôts permet à certains salariés de bénéficier d’une exonération de la rémunération reçue au titre de l’activité qu’ils exercent à l’étranger pour le compte de leur employeur.
Le présent article redonne un aperçu du régime et des actualités les plus récentes le concernant : jurisprudence de 2018 sur les éléments de preuve pouvant être exigés du salarié, articulation avec l’entrée en vigueur du prélèvement à la source en 2019 et, enfin, perspectives sur l’application du régime au titre de 2020.
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Aperçu du régime
Pour mémoire, le dispositif de l’article 81 A du CGI prévoit deux exonérations :
la plus favorable : une exonération complète de la rémunération relative aux jours travaillés à l’étranger par le salarié, applicable uniquement à condition que l’activité à l’étranger soit consacrée à certains domaines d’activités et que sa durée dépasse un certain seuil[1].
à titre de consolation, pour les salariés ne satisfaisant pas ces conditions : une exonération partielle visant uniquement les « suppléments » de rémunération éventuellement versés en complément de la rémunération « de base » (en application d’un barème préalablement établi) et qui ne peuvent excéder 40 % de cette dernière.
L’exonération complète est bien évidemment plus favorable, car elle vise l’intégralité de la rémunération des jours étrangers (qui est généralement une fraction de la rémunération totale retenue au prorata des jours travaillés à l’étranger sur le nombre total de jour travaillés). A l’inverse, l’exonération partielle ne vise que les que les primes ou « suppléments » versés en complément d’une rémunération « de base » qui demeure intégralement taxable.
Pour pouvoir bénéficier de l’exonération complète, l’activité exercée hors de France doit toutefois être consacrée :
soit à la mise en œuvre d’installations et de chantiers industriels, à la prospection de ressources naturelles ou à la navigation. La durée annuelle des séjours étrangers doit alors excéder 183 jours ;
soit à la prospection commerciale. La durée annuelle des séjours étrangers doit alors excéder 120 jours.
Ces seuils sont toutefois plus faciles à atteindre qu’il n’y paraît, car l’administration fiscale retient des modalités de décompte des jours à l’étranger qui sont assez favorables aux salariés : le décompte inclut en effet les jours de week-end et les jours de congés même pris en France, si ces congés se rapportent au jours travaillés hors de France[2].
En d’autres termes, la condition de durée d’activité de 183 jours (industrie, prospection de ressources, navigation) revient peu ou prou à exiger que la salarié consacre la moitié de ses jours travaillés à l’étranger (même s’il y passe physiquement moins de 183 jours dans l’année compte tenu des jours non travaillés), tandis que la condition de durée d’activité de 120 jours (prospection commerciale) revient à en exiger le tiers.
Les développements suivants sur l’application du régime sont par ailleurs intervenus au cours des dernières années.
2018 : précisions jurisprudentielles sur la justification de l’activité exercée à l’étranger
Dans un arrêt du 26 octobre 2018 (n° 412525), le Conseil d’Etat a indiqué qu’il considérait comme étant pleinement opposables au fisc les dispositions inscrites par l’administration au BOI-RSA-GEO-10-20 n° 340.
Les dispositions de cette instruction administrative prévoient que le salarié peut apporter la preuve de son activité par la production d’une attestation de l’employeur précisant qu’il exerce bien une activité de prospection commerciale à l’étranger.
Dès lors que le salarié produit une telle attestation, l’administration fiscale ne peut donc plus exiger de sa part de preuve complémentaire des actions effectivement menées à l’étranger.
A noter que l’administration peut toujours contester la réalité de l’attestation, mais qu’elle doit pour se faire se baser sur les éléments d’un éventuel contrôle exercé directement auprès de l’employeur, contrôle dont elle ne pourra pas faire l’économie.
2019 : Articulation problématique de l’exonération avec le prélèvement à la source
L’entrée en vigueur du prélèvement à la source le 1er janvier 2019 a conduit l’administration fiscale à préciser que les sommes exonérées en application de l’article 81 A du CGI pouvaient être exclues la base de calcul de la retenue à la source opérée par les employeurs.
Toutefois, le manque de précisions méthodologiques sur les modalités d’un calcul de l’exonération totale[3] effectué « au fil de l’eau » pour les besoins du prélèvement à la source a conduit beaucoup d’employeurs (mais pas tous), par prudence et en l’absence de visibilité sur les sanctions éventuellement applicables en cas de précompte insuffisant, à prélever l’impôt sur l’intégralité de la rémunération.
Il en résulte une situation regrettable pour les salariés concernés, qui subissent un préjudice de trésorerie puisqu’il leur est laissé le soin d’appliquer l’exonération sur leur déclaration de revenus pour récupérer, un an plus tard, l’impôt excédentaire précompté par leur employeur.
2020 : triste année pour l’exonération des séjours professionnels à l’étrangers ?
De nombreux salariés, habitués des voyages d’affaires et à bénéficier de manière récurrente de l’exonération qui leur est attachée, s’attendent à juste titre à une sérieuse augmentation de leur imposition sur l’année 2020 en raison de l’impossibilité technique de voyager pendant une grande partie de l’année dans le contexte de l’épidémie de COVID-19.
A noter toutefois que les bénéficiaires habituels de l’exonération totale qui imagineraient être totalement privés de cette exonération sur 2020 en raison de séjours inférieurs aux seuils de 120 ou 183 jours, doivent examiner très attentivement leur calendrier avant de s’y résoudre.
En effet, le respect de la condition de seuil peut s’examiner sur l’année civile mais également sur toute période de 12 mois glissants.
Cela signifie par exemple, qu’un salarié peut justifier de l’exonération d’éventuels séjours étrangers du premier semestre 2020 s’il a accompli des séjours suffisants au regard des seuils sur la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020.
Symétriquement, il pourra aussi justifier de l’exonération d’éventuels séjours étrangers du second semestre 2020 s’il a accompli des séjours suffisants au regard des seuils sur la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021.
Les jours plus heureux de 2019 et, espérons-le, de 2021, pourront ainsi venir au secours des jours plus sombres de 2020…
Si l’appréciation sur une « année glissante » permet de satisfaire la condition de seuil autorisant l’exonération de la rémunération des séjours étrangers, le calcul proprement dit de cette rémunération exonérée ne pourra en revanche faire intervenir que les séjours intervenus sur l’année civile 2020.
A défaut d’avoir à satisfaire la condition de seuil à l’aune de la seule année 2020, les salariés concernés devront donc quand même, a minima, avoir passé quelques jours de travail à l’étranger en 2020 pour pouvoir prétendre à une exonération quelconque.
Le cabinet est bien entendu à la disposition de tout salarié ou employeur pour analyser les droits à exonération relatifs à l’année 2020.
[1] On précisera que le 1° du I de l’article 81 A du CGI prévoit aussi une application de l’exonération complète, sans aucun seuil de durée ni restriction à certaines activités, en cas d’imposition effective de la rémunération par l’Etat du lieu d’exercice de l’activité. Toutefois, cette disposition n’a en pratique qu’un intérêt limité car dans une telle hypothèse, la neutralisation de l’imposition française pourra le plus souvent résulter directement de l’application de la convention fiscale conclue entre la France et l’Etat en cause.
[2] En pratique, le décompte des jours étrangers consistera généralement à diviser le nombre de jours travaillés à l’étranger par le nombre total de jours travaillés dans l’année (souvent 218 jours, par convention) et à multiplier le résultat par 365.
[3] L’exonération partielle visant uniquement les « suppléments » de rémunération est en revanche aisée à mettre en place car ces suppléments exonérés, dont l’attribution résulte de la mise en œuvre d’un barème préétabli tenant compte du nombre, de la durée et du lieu des séjours étrangers, sont déjà identifiés comme tels sur les bulletins de paie.