Année blanche : offensive du fisc contre les plans non qualifiés d’actions gratuites et de stock-options.
L’administration fiscale semble considérer que les gains « non-qualifiés » d’actions gratuites et de stock-options réalisés en 2018 ne pourraient jamais bénéficier du CIMR octroyé au titre de « l’année blanche ». Cette position semble toutefois mal fondée et doit être combattue.
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Le délai supplémentaire[1] dont dispose l’administration fiscale pour redresser l’impôt sur les revenus de l’année 2018 est actuellement mis à profit par les inspecteurs dans le cadre d’un contrôle assez intensif du caractère exceptionnel des salaires.
On se souvient que dans le cadre d’un dispositif plus communément appelé « année blanche » l’imposition des revenus de l’année 2018 a été neutralisée par une imputation dénommée « Crédit d’Impôt Modernisation du Recouvrement » (ou CIMR) octroyée à hauteur des revenus soumis au prélèvement à la source et ne présentant pas de caractère exceptionnel.
Il appartenait ainsi aux salariés, lors de l’établissement de leur déclaration des revenus 2018, de signaler l’existence d’éléments de rémunération exceptionnels reçus en 2018 et d’en reporter le montant en case 1AX (ou 1BX pour le conjoint), de manière à ce qu’ils soient exclus de la base de calcul du CIMR et de ce fait soumis à une imposition effective, contrairement aux revenus récurrents.
L’administration fiscale engage actuellement des contrôles assez systématiques de la situation des salariés et dirigeants, sur la base non seulement des déclarations souscrites par leurs soins (l’administration sera ainsi attentive à la situation d’un contribuable ayant déclaré sur 2018 des salaires plus élevés que les autres années, sans pour autant en signaler une partie comme étant « exceptionnelle »), mais également sur la base des informations fournies par les employeurs.
La déclaration des salaires déposée par ces derniers permet en effet à l’administration fiscale de connaître non seulement le montant de la rémunération nette imposable reçue par chaque salarié, mais également la part de cette rémunération correspondant à des « avantages en nature ».
Or, ces avantages en nature incluent notamment les gains tirés de l’acquisition d’actions gratuites ou de l’exercice de stock-options issus de plans dits « non-qualifiés ».
On sait en effet que les règles d’imposition favorables prévues par la fiscalité française en matière d’attribution gratuite d’actions (AGA ou RSU) et de stock-options (SOP) nécessitent que celles-ci soient allouées dans le cadre de plans respectant un certains nombres de conditions relevant du droit des sociétés : organe habilité à instituer le plan, modalité de détermination du prix et des délais de fonctionnement du plan, limitations par rapport au capital social, etc.
Lorsque ces conditions ne sont pas respectées (ce qui assez fréquent pour les plans établis par des sociétés étrangères) les actions gratuites et stock-options sont dits « non-qualifiés », ce qui signifie que leur régime fiscal est exactement aligné sur celui des salaires, à l’exclusion de toute catégorie d’imposition spécifique.
En pratique, le vesting des actions gratuites ou l’exercice des stock-options entraînent immédiatement[2] la constatation en paie d’un avantage imposable égal à la valeur des actions gratuites reçues par le bénéficiaire ou, dans le cas des stock-options, d’un avantage en nature égal à la différence entre le prix d’exercice et la valeur des actions souscrites.
Le montant de cet avantage en nature suit exactement le même traitement fiscal que la rémunération en numéraire puisqu’il est pris en compte dans le revenu net imposable figurant sur le bulletin paie et qu’il est de ce fait inclus dans les salaires reportés dans la déclaration de revenus.
S’agissant de l’année 2018, nous avons constaté à plusieurs reprises que dans le cadre des contrôles actuellement engagés, l’administration fiscale exprimait une position générale tenant à ce que les gains d’actions gratuites et de stock-options non qualifiés seraient nécessairement des revenus exceptionnels ne pouvant pas bénéficier du CIMR.
Cette position devrait impérativement conduire les bénéficiaires de tels gains en 2018 à s’interroger sur leur risque s’ils n’ont pas reporté de revenus exceptionnels sur leur déclaration et qu’ils ont donc bénéficié d’une neutralisation totale de l’impôt par le CIMR…
Pour autant, la position de l’administration nous semble devoir être nuancée, voire combattue dans le cadre d’un contentieux à venir.
En effet, les bénéficiaires de gains non qualifiés seraient, à notre avis, tout à fait fondés à invoquer la récurrence de ces revenus (par exemple, un vesting annuel d’actions gratuites non qualifiées) pour justifier le maintien du CIMR.
La position actuelle de l’administration (qui ne figure pas dans le « Bofip », muet sur la question, mais qui semble résulter d’une circulaire interne) est énoncée de manière péremptoire, mais on peut supposer qu’elle procède d’un raisonnement a fortiori.
En effet, les gains « qualifiés » sont incontestablement exclus du CIMR… dès lors, ne serait-il pas parfaitement logique que cette exclusion s’étende, à plus forte raison, aux gains « non qualifiés » ?
Nous n’en pensons rien. Les raisons de l’exclusion des gains « qualifiés » tiennent au fait que ces derniers ne sont pas soumis au prélèvement à la source. En effet, il appartient aux bénéficiaires de gains qualifiés de s’acquitter seuls de l’impôt sur le revenu en (n + 1), sans que l’employeur n’ait été tenu à une quelconque obligation de précompte lors de leur perception.
Dès lors, l’entrée en vigueur du prélèvement à la source, le 1er janvier 2019, n’exposait pas les bénéficiaires de gains « qualifiés » à une double charge de trésorerie tenant à devoir supporter, au cours de la même année, la régularisation de l’impôt sur leurs gains de 2018 ainsi qu’un précompte nouveau sur leurs gains de 2019.
Or, cette double charge de trésorerie est précisément la situation à laquelle s’exposaient, à l’inverse, les bénéficiaires de gains « non qualifiés » en 2019, les employeurs étant tenus d’opérer le prélèvement à la source sur l’avantage constaté en paie comme pour un salaire normal.
L’application du CIMR aux gains « non-qualifiés » peut donc bien s’avérer conforme aux objectifs de l’année blanche consistant à éviter une double charge de trésorerie.
Encore faut-il, certes, que les gains en cause n’aient pas été volontairement majorés en 2018 en vue de profiter du dispositif.
L’administration fiscale dispose toutefois, à cet égard, d’une grille de lecture fournie par le texte légal, tenant à exclure du CIMR « tout revenu, qui, par sa nature, n’est pas susceptible d’être recueilli annuellement »[3].
Il devrait donc lui appartenir, sur la base des caractéristiques propre à chaque plan « non qualifié » d’actions gratuites ou de stock-options, de déterminer la part des gains tirés du plan qui pouvait raisonnablement être réalisée chaque année sur sa durée et d’exclure du CIMR uniquement un éventuel excédent réalisé en 2018.
Cette problématique donnera probablement lieu à une casuistique complexe, et peut-être parfois à des formes de négociation plus terre à terre.
En tout cas, la position actuelle de l’administration fiscale tenant à rejeter en bloc tout bénéfice du CIMR pour les gains non-qualifiés nous semble vouée à l’échec.
[1] En raison de l’année blanche, l’administration fiscale a jusqu’au 31/12/2022 pour notifier les redressements relatifs à l’impôt sur les revenus de l’année 2018, soit une année de plus qu’en temps normal. La fin de l’année 2022 sera très agitée en termes de contrôle fiscal puisqu’elle verra se profiler la prescription simultanée des revenus 2018 et 2019.
[2] Contrairement aux plans qualifiés, l’imposition du gain n’est pas reportée à la vente des actions reçues, ce qui en pratique va souvent obliger les bénéficiaires à vendre immédiatement les actions pour pouvoir disposer de liquidités leur permettant de s’acquitter de l’impôt.
[3] Article 60, II, 15° de la Loi de Finances pour 2017