Pénalités pour mauvaise foi: ratifier n’est pas décider

La décision d’appliquer des pénalités pour mauvaise foi doit être « prise » (et signée) par un agent ayant le grade d’inspecteur divisionnaire. Il serait souhaitable que la jurisprudence confirme en conséquence qu’un défaut d’intervention de l’intéressé sur la notification initiale constitue une nullité non régularisable.

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Les pénalités pour manquement délibéré ou manœuvres frauduleuses viennent sanctionner les contribuables ayant intentionnellement cherché à égarer l’administration par une majoration de 40 % ou 80 % de l’impôt supplémentaire mis à leur charge.

Outre l’aspect financier, l’application de ces pénalités remet ouvertement en cause la probité du contribuable et constitue, pour cette raison, un des critères de transmission automatique du dossier au parquet en vue d’éventuelles poursuites pour fraude fiscale.

Il est donc crucial d’encadrer le recours à ces pénalités, ce qui est l’objet même de l’article L. 80 E du Livre des procédures fiscales (LPF) qui impose que la décision d’en faire application soit prise par un inspecteur divisionnaire, qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités.

Précisons, comme l’a fait le Conseil d’Etat (CE, 19 décembre 2008, n°292286) que le document comportant la motivation des pénalités doit s’entendre de la proposition de rectification ou de tout document garantissant un délai de 30 jours au contribuable pour former ses observations, au sens de l’article L. 80 D du LPF. Cette logique conduit à lier l’obligation de motivation au respect du contradictoire et renforce ainsi la protection du contribuable.

Pour autant, l’article L. 80 E porte une garantie bien distincte de l’exigence de motivation et du respect du contradictoire, en prévoyant que la décision d’appliquer les pénalités doit être « prise » par un inspecteur au moins divisionnaire.

A notre sens, cette garantie, qui tient à ce que la décision particulièrement grave d’appliquer les pénalités majorées soit prise par un agent d’un grade supérieur (avec ce que cela implique en termes d’expérience, de formation, d’autorité, etc.), devrait entraîner la nullité non régularisable de toute notification de ces pénalités qui serait prise en méconnaissance de l’obligation de visa de l’inspecteur divisionnaire.

Admettre la possibilité pour l’administration de régulariser une omission a postériori en notifiant l’application des pénalités une seconde fois, cette fois en respectant l’exigence de visa, nous semblerait contraire à la garantie de l’article L. 80 E, quand bien même un nouveau délai de 30 jours serait accordé au contribuable pour répondre dans cadre du respect du contradictoire.

En effet, une telle régularisation reviendrait à admettre que l’inspecteur divisionnaire puisse, non pas « prendre » la décision d’appliquer les sanctions (ce qu’exige pourtant la lettre du texte) mais se contenter de « ratifier » a posteriori la décision prise par un inspecteur moins gradé… ce qui est loin d’être la même chose !

La Cour de cassation a pris une position dans ce sens concernant l’article R. 64-1 du LPF, qui exige que la décision d’écarter les actes constitutifs d’un abus de droit soit prise par un agent ayant au moins le grade d’inspecteur divisionnaire. Elle considère que l’irrégularité tirée du défaut de mention du nom de l’inspecteur divisionnaire sur la notification de redressement ne peut être couverte par la circonstance qu’ultérieurement, le contribuable avait eu connaissance de l’identité de l’intéressé (Cass. Com. 1er juin 1999, n°97-12.576).

En revanche, il ne semble pas que la Cour de Cassation ni le Conseil d’Etat aient eu l’occasion de se prononcer sur l’article L. 80 E du LPF relatif aux pénalités pour manquement délibéré ou manœuvres frauduleuses… à vrai dire, certaines décisions des juges du fond sont assez peu encourageantes.

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé différentes affaires[1] dans lesquelles une proposition de rectification avec notification des pénalités majorées avait été adressée au contribuable, avec la contresignature de l’inspecteur divisionnaire mais sans mention de son nom. L’administration fiscale avait ensuite répondu aux observations du contribuable par un courrier comportant cette fois-ci le nom de l’intéressé. Dans une telle configuration, la CAA considéré que les garanties du contribuable avaient été respectées.

Cette position nous semble constituer une dérive assez inquiétante.

Certes, dans ces affaires, la présence initiale d’une contresignature, bien que son auteur ne soit devenu identifiable qu’ultérieurement, matérialisait bien une prise de décision par ce dernier dès le début de la procédure.

Pour autant, fallait-il distinguer le fond (la prise de décision par l’inspecteur divisionnaire) et la forme (son visa sur la notification des pénalités), alors même que la lettre du texte présente les deux points comme indissociables (l’inspecteur divisionnaire prend la décision et « à cet effet » appose son visa) ?

Ce manque d’intransigeance nous semble malvenu, particulièrement à une époque où les autorités fiscales sont prises entre d’une part, la pression du politique (et de l’opinion) qui assimilent le contrôle fiscal à la fraude[2] et d’autre part, la suspicion des contribuables (et de leurs conseils) qui s’insurgent de pénalités qui seraient appliquées uniquement dans le but de pousser vers la conclusion d’une transaction.

Dans ce contexte, le respect strict et littéral des garanties édictées par le LPF apparaîtrait comme un minimum. Espérons que la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat aient prochainement l’occasion de se prononcer sur la question.

[1] CAA Versailles 27 mai 2021 n° 19VE02215 ; 9 juillet 2020 n° 19VE02395 ; 30 novembre 2017 n° 15VE02974.

 

[2] la bonne foi des contribuables ne serait pourtant mise en cause que dans 30 % des procédures de rectification, selon les dernières statistiques de la Direction du contrôle fiscal.

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