PEA et BSPCE, une validation du Conseil d’Etat à la portée incertaine
Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision qui autorisera désormais les bénéficiaires de BSPCE (et autres bons de souscription) à exercer leurs bons par l’intermédiaire d’un PEA, opération qui était considérée comme proscrite par l’administration fiscale. Les conclusions du rapporteur public laissent toutefois planer un doute, qu’il conviendra de lever, sur la portée pratique de cette solution.
Dans une décision du 8 décembre 2023 (n° 482922), le Conseil d’Etat vient de valider l’analyse que nous défendions dans une précédente publication.
Nous faisions valoir que la doctrine fiscale interdisant de placer dans un PEA les actions résultant de l’exercice de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) était illégale, en ce qu’elle se fondait sur un texte qui interdit uniquement de loger les bons eux-mêmes.
Or, rien dans le texte légal n’interdit au détenteur d’un bon placé hors du PEA d’exercer celui-ci en payant le prix de souscription au moyen du compartiment espèces de son PEA, opération devant entraîner l’inscription des actions en résultant sur le compartiment titres du plan.
Dans sa décision fraichement rendue, le Conseil d’Etat vient de confirmer cette analyse et d’annuler la position contraire de l’administration fiscale figurant aux n° 540 et n° 585 du BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20.
Faut-il en conclure que la plus-value réalisée lors de la revente des actions à l’intérieur du PEA pourrait bénéficier de l’exonération attachée à ce dispositif, permettant au bénéficiaire des BSPCE d’échapper à l’imposition de 12,8 %, 19 % ou 30 % prévue par l’article 163 bis G du Code général des impôts ?
A notre sens, la lettre de la décision rendue par le Conseil d’Etat invite à cette conclusion, au demeurant très prometteuse pour tous les détenteurs de BSPCE à fort potentiel de plus-value.
En effet, pour autant que les bons n’aient pas encore été exercés et que le prix d’exercice soit suffisamment faible pour pouvoir être couvert par des versements en numéraire réalisés sur un PEA (eux-mêmes plafonnés à 100.000 € ou 150.000 €), l’exercice des bons par l’intermédiaire du PEA permettrait au bénéficiaire de BSPCE de se ménager une économie fiscale substantielle et de n’être redevable que des prélèvements sociaux sur un gain ultérieurement constaté lors de la clôture du plan (en respectant, il est vrai, la contrainte du PEA tenant à ne pas faire de retraits avant l’écoulement d’un délai de 5 ans décompté depuis l’ouverture du plan).
Néanmoins, nous sommes obligés d’appeler les contribuables (et leurs conseils) à la prudence, en raison de la teneur des conclusions lues à l’audience publique du 6 décembre par la Rapporteure publique, Mme Karin Ciavaldini.
Tout en validant l’analyse du Requérant dans son exposé, Mme Ciavaldini a énoncé une précision, non reprise dans la décision, dont nous espérons pouvoir vérifier l’exactitude dans une prochaine publication de ses conclusions.
Nous ne pensons pas trahir la teneur des propos de la Rapporteure, basés sur nos notes d’audience, en indiquant qu’elle a invité le Conseil d’Etat à « réserver », pour une éventuelle décision ultérieure, la question de savoir comment le régime du PEA aurait vocation à s’appliquer dans le cadre du régime des BSPCE. Elle a en particulier émis l’hypothèse que dans le cadre de la cession des actions à l’intérieur du PEA, le gain d’exercice des BSPCE puisse faire l’objet d’un traitement « autonome ».
A vrai dire, une telle analyse ne nous paraît pas pouvoir prospérer, tant au regard de l’unicité des gains de BSPCE postulée par l’article 163 bis G du CGI, que de la portée très large de l’exonération des revenus réalisés dans le PEA prévue par le 5° bis de l’article 157.
Pour autant, l’éventualité d’une décision qui validerait ces propos fait peser un risque très lourd aux contribuables détenteurs de BSPCE qui seraient désireux de s’engouffrer dans la brèche tout juste ouverte par la décision du 8/12/2023 en exerçant leurs bons via un PEA.
En effet, à supposer que la revente des actions à l’intérieur du PEA rende le contribuable redevable de l’impôt sur un gain d’acquisition cristallisé lors de l’exercice des BSPCE, deux questions se poseraient :
d’une part, le contribuable pourrait-il s’acquitter de l’impôt au moyen du produit de la vente des actions, sans pour autant encourir la clôture de son PEA au titre d’un retrait opéré avant l’écoulement du délai de 5 ans ?
d’autre part, quelle mécanisme légal permettrait d’éviter une seconde imposition du même gain (a minima aux prélèvement sociaux) lors de la clôture du plan ?
La prudence nous conduit pour notre part à nous engager d’abord dans la voie du rescrit pour garantir contre toute mauvaise surprise le Requérant qui nous a honoré de sa confiance dans cette aventure.
Espérons que l’administration fiscale soit bonne joueuse. Si elle ne l’est pas, la voie contentieuse restera toujours ouverte pour compléter la jurisprudence du Conseil.