IFI : fallait-il, oui ou non, amortir les comptes courants d’associés ?

L’administration fiscale n’a jamais publié de position explicite sur la question de l’amortissement des comptes courants d’associés en matière d’IFI. Pour autant, les inspecteurs semblent désormais partager un avis très uniforme sur la question.

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On sait que pour les besoins du calcul de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), les parts et actions de sociétés détentrices d’actifs immobiliers imposables doivent faire l’objet d’une évaluation, pour laquelle la prise en compte de certaines dettes sociales est interdite ou restreinte.

Un compte courant d’associé, pour autant qu’il passe un premier filtre du « but non fiscal », doit-il passer à la moulinette d’un amortissement « virtuel » qui en limiterait progressivement le montant effectivement déductible ?

Les praticiens semblent avoir retenu des approches différentes sur cette question, qui n’a jamais fait l’objet d’une prise de position explicite et générale publiée par l’administration.

La premier filtre du « but non fiscal » résultait de manière très évidente du II de l’article 973 du Code général des impôts qui prévoit, parmi l’exclusion de certaines dettes relatives à ses actifs taxables, celles qui sont contractées par la société auprès du redevable de l’IFI lui-même (pour autant que celui-ci contrôle la société).

Cette exclusion visait donc très spécifiquement la déduction des dettes en compte courant d’associé, résultant du financement direct par l’associé de l’acquisition du bien immobilier ou de dépenses d’entretien ou d’amélioration. Il était toutefois entendu, précisait le législateur, qu’échapperaient à cette exclusion les prêts qui n'ont pas été « contractés dans un objectif principalement fiscal ».

Rappelons à ce titre que la doctrine administrative[1] suggère prudemment qu’une dette antérieure à l’entrée en vigueur de l’IFI le 1er janvier 2018 est « susceptible » de revêtir un objet autre que fiscal. On ne peut qu’en convenir[2], sachant que d’autres exemples d’absence d’objectif fiscal peuvent tout à fait être envisagés :

  • le fait que les associés aient souhaité répartir le capital social (et donc leurs droits futurs sur les revenus et plus-values générés par les actifs) selon une clé de répartition différente de leurs apports financiers ;

  • le fait que des dépenses aient été prises en charge de manière continue par un associé et se soient cumulées en une créance en compte courant à son profit. A notre sens, cette circonstance ne devrait en rien obliger ce dernier (ni la société) à s’imposer la lourdeur d’une formalité d’augmentation de capital pour convertir cette créance en capital social.

Ceci étant dit, au filtre du but non fiscal résultant de l’article 973 II du CGI est venue se superposer, à compter de l’IFI 2019, une règle supplémentaire inscrite cette fois à l’article 973 III.

Cette disposition prévoit une autre limitation de la déductibilité des dettes sociales, visant les dettes contractées pour l’achat d’un actif imposable et présentant un caractère non amortissable, c’est-à-dire celles qui, visées par l’article 974 du CGI (auquel renvoie l’article 973) :

  • prévoient le remboursement du capital au terme du contrat ;

  • ne prévoient pas de terme pour le remboursement du capital.

Ces prêts ne peuvent être déduits qu’au prorata de leur durée restant à courir sur leur durée totale, ou sur une période de 20 ans pour les prêts sans terme. Autrement dit, ils doivent faire l’objet d’un amortissement virtuel plaçant le contribuable dans la même situation que s’il s’était agi d’emprunts amortissables.

Les comptes courants d’associé sont-ils nécessairement concernés par ce retraitement ? Autrement dit, un compte courant est-il voué, à supposer qu’il passe le filtre du but non fiscal, à se retrouver dans la moulinette d’un amortissement virtuel sur 20 ans ?

Il nous semble que les contribuables (et leurs conseils) ont retenu des pratiques différente à cet égard, en fonction de leur aversion au risque.

Le doute était permis, car le lien entre l’amortissement des prêts in fine et les comptes courant d’associé n’a jamais été explicité par l’administration.

De fait, l’intervention du législateur semblait avoir pour objet d’étendre aux valorisations de parts de sociétés le dispositif d’amortissement virtuel qui existait en matière de dettes personnelles, domaine dans lequel la notion de compte courant l’associé est par définition absente.

Les discussions parlementaires de l’époque visaient donc explicitement les emprunts bancaires et autres lignes de crédit revolving.

L’administration fiscale elle-même n’a pas fait de lien explicite entre amortissement et compte courant d’associé : ses commentaires sur le passif des sociétés (BOI-PAT-IFI-20-30-30) traitent les prêts sans terme l’article 973 III (n° 57) et les prêts souscrits auprès du redevable de l’IFI (n° 100) comme deux problématiques séparées, sans envisager l’hypothèse d’un recoupement.

L’administration fiscale n’est pas davantage revenue sur cette question à l’occasion des commentaires du nouveau dispositif de l’article 973 IV du CGI sur l’exclusion des dettes « non immobilières » applicable depuis l’IFI 2024.

Bien entendu, l’absence de commentaires en amont ne vaut pas blanc-seing donné aux contribuables : il appartenait, et il appartient toujours à ces derniers d’apprécier la portée exacte du texte légal, en particulier connaissance prise des pratiques de l’administration en matière de contrôle.

A cet égard, les retours d’expérience ne laissent plus aucun doute. Les inspecteurs considèrent bien d’une seule voix que les comptes courants d’associé doivent faire l’objet d’un amortissement pour l’évaluation des parts de sociétés.

Il est vrai que dans les situations les plus pures (compte courant d’associé correspondant uniquement au financement de l’achat initial, et jamais mouvementé depuis) il est difficile de ne pas voir dans l’amortissement des comptes courant d’associé une certaine logique d’alignement du sort des contribuables… pour autant, certains auteurs s’y opposent, considérant que les créances en compte courant, qui résultent de l’inscription comptable d’une ou plusieurs opérations créditrices, ne sont pas assimilables aux « prêts » visés par le texte légal.

Il est regrettable que la doctrine générale de l’administration sur le sujet, dont il est désormais difficile de douter de l’existence, n’ait pas fait l’objet d’une publication. En effet, la contestation de cette position aurait pu donner lieu à un positionnement rapide du Conseil d’Etat sur ce sujet complexe. A défaut, les contribuables seront réduits à attendre que la jurisprudence judiciaire vienne éclairer les contours de la règle… si tant est que la Cour de cassation en soit un jour saisie, ce qui n’est pas évident au regard des enjeux financiers de l’IFI.

Dans cette attente, le praticien confronté au sujet devra faire le nécessaire pour préserver les droits de ses clients. A titre de « boite à outils », on rappellera que même à la supposer bien fondée, l’exigence d’un amortissement des comptes courants d’associés devrait se heurter aux limites suivantes :

  • la règle de l’amortissement « virtuel » des dettes sociales n’est entrée en vigueur qu’à compter de l’IFI 2019. L’IFI 2018 n’est donc pas concerné.

  • la règle ne vise que les dettes contractées « pour l'achat d'un actif imposable ». Il est donc possible de déterminer un quantum amortissable maximal en se référant aux seuls actes d’acquisition des actifs immobiliers détenus par la société. Ce quantum correspondra à la fraction des prix d’achat qui n’a pas été financée par l’emprunt bancaire.

  • il se posera, enfin, la question de savoir comment traiter une diminution ultérieure de la dette en compte courant d’associé résultant d’un remboursement partiel effectué au profit de l’associé. Devrait-on considérer que cette diminution s’impute sur la partie non-déductible de la dette, sur sa partie amortissable ou sur sa partie pleinement déductible ? Il n’est selon nous pas illégitime de considérer qu’un remboursement devrait prioritairement s’imputer sur le passif non déductible… mais l’administration fiscale ne partagera pas nécessairement ce point de vue.

[1] BOI-PAT-IFI-20-30-30 n° 230

[2] A l’extrême rigueur, la question de l’éventuel objectif fiscal d’un apport en compte courant « pré-IFI » pourrait se poser pour les apports consentis par des non-résidents (lesquels bénéficiaient, pour l’ISF, à la fois de l’exonération de la créance personnelle et de la déduction de la dette sociale pour la valorisation des titres déclarés). Encore faudrait-il qu’un tel apport ait eu lieu avant le 1er janvier 2012, date à partir de laquelle la déduction des CCA en cause a été exclue pour les besoins de l’ISF, rendant donc inopérante la suspicion d’un objectif fiscal.

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